Résistance

CACHER ET PROTÉGER

L’organisation de la protection des populations juives ne peut se penser à l’échelle locale : l’aide fonctionne en réseaux maillant le territoire entier, avec un appui technique à l’échelle du village pour accueillir, trouver des logements sûrs, fournir de fausses cartes d’identité et d’alimentation, scolariser les enfants.

Des recherches ont permis d’établir qu’au moins 152 personnes ont trouvé refuge dans le Trièves et que 21 d’entre elles ont été arrêtées par la milice ou la gestapo. Dont trois à Mens.

LES RAFLES

Le couple Meisler, arrêté à Mens, dans la rue, le 26 août 1942.

Ce jour-là le régime de Vichy organise une grande rafle dans toute la France non occupée. Après la rafle du  Vel’d’Hiv en zone occupée, il s’est engagé à livrer 10 000 juifs aux nazis, hommes, femmes et enfants.

Frieda et Mendel Meisler, dont nul ne sait où ils étaient logés à Mens ni depuis quand, sont pris dans la rue et sont emmenés à la gendarmerie dont le chef n’est pas encore Bourchanin. Une petite manifestation de Mensois vient exiger leur libération, en vain. Ils sont embarqués pour Drancy et, de là, Auschwitz dont ils ne reviendront pas.

Ils ont une quarantaine d’année, sont originaires de Brody, une de ces villes d’Europe centrale qui a plusieurs fois changé de nationalité : d’abord dans l’empire austro-hongrois, elle est devenue ensuite polonaise pour être aujourd’hui en Ukraine. Une forte minorité juive de 9 000 personnes y habitait avant guerre. En décembre 1942, cette population est enfermée dans un ghetto par les nazis puis déportée. Presque aucun ne reviendra.

Avant guerre, Les Meisler habitent à Vienne en Autriche. On sait, par la base Yad Vashem qui répertorie les victimes de l’holocauste, qu’ils arrivent à Mens au terme d’une longue errance qui les a menés de Vienne à Bruxelles, puis Agde, Revel et Lyon où ils ont vraisemblablement été arrêtés pour être internés à Rivesaltes. On sait aussi qu’ils avaient au moins un fils. Il est probable qu’une des associations d’aide aux internés de Rivesaltes ait pris en charge le ou les enfants (leur fils, Émil, témoigne avoir été caché sous une fausse identité) et ait donné aux adultes le moyen de sortir du camp et des adresses où se réfugier.

Michel Jacoub est né le 27 mars 1888 à Moscou. Il est dit représentant.

Il est arrêté à Mens à l’hôtel Central le 24 février 1944. De Grenoble il est emmené à Drancy le 4 mars. Puis transféré dans le convoi n°69 quittant Drancy le 7 mars à direction d’Auschwitz Birkenau. Il est gazé à l’arrivée au camp.  Il avait 56 ans et possédait une montre bracelet en or avec les initiales MJ, reportée sur le carnet de fouille n°104, reçu n°265.

Le convoi 69 a transporté 1501 personnes, dont 166 arrêtées en Isère et 178 enfants de moins de 18 ans. En 1945, il restait 20 survivants de ce transport[1].

L’arrestation de Michel Jacoub n’est pas due au hasard. Durant près de deux mois, des premiers jours de février au 16 mars 1944, la région grenobloise connaît une vague d’arrestations de Juifs d’une ampleur et d’une férocité inégalées. Les hôtels sont fouillés la nuit, les cafés le jour. Comme c’est peu productif, on arrête tous les gens qui ont l’air juif. Des spécialistes en reconnaissance faciale sont à l’œuvre. Les enfants, même tout petits, ne sont pas épargnés.

Les responsables de cette opération (…) sont le SS-Hauptsturmführer Aloïs Brunner et des hommes du Kommando Drancy[2]. Aloïs Brunner est le spécialiste de la traque des Juifs dans l’Europe entière. Il prend ses ordres directement d’Eichmann. À la fin de la guerre, il est condamné à mort par contumace. Il est traqué sans relâche et trouve refuge à Damas où il devient conseiller d’Hafez el-Assad, puis de son fils Bachar… On ignore la date exacte de sa mort.

[1]     Source Mémorial de la Déportation des Juifs de France, notice des convois, p.200, Serge Klarsfeld, éd. 1978 Mises à jour par Jean-Pierre Stroweis. https://stevemorse.org/france/cv/Notices.pdf#page=191

[2]     Tal Bruttman, L’ « Action Brunner » à Grenoble (février-mars 1944) Dans Revue d’Histoire de la Shoah 2002/1 N°174, pp. 18 à 43. Editions Centre de documentation juive contemporaine. Disponible  en ligne https://shs.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-2002-1-page-18?lang=fr

DE LA RÉVOLTE À L’AFFRONTEMENT

 Refus du STO

La plupart des jeunes de Mens refuse, au début de 1943, de rejoindre le Service du travail obligatoire qui envoie les jeunes gens en Allemagne pour remplacer les travailleurs mobilisés au front. La gendarmerie reçoit l’ordre de les rechercher. Le chef Bourchanin va de maison en maison, constate l’absence des jeunes et ne va pas plus loin. Personne n’est arrêté tant qu’il était en poste.

Il faut aussi leur donner les moyens de se nourrir à une époque où les denrées ne peuvent être obtenues qu’avec des tickets de rationnement. Le maire Édouard Arnaud leur en fournit clandestinement.

 Révolte

Ces jeunes piaffent : ils ne conçoivent pas de rester les bras croisés. Ils cherchent des contacts et, en attendant mieux, décident d’asticoter l’occupant italien. L’un d’eux, Albert Darier, raconte que lui et ses camarades ont réussi à dénicher (…) un pot de peinture rouge vif, du vrai Ripolin d’avant-guerre (…). Ils marchent dans les rues sans lumières. Après avoir trempé le pinceau, un long trait vertical, deux plus petits horizontaux qui coupent le premier, croix de Lorraine. Puis, pinceau retrempé, un grand V bien rouge encadrant le tout. Une dizaine de fois, sur les pierres des fontaines, les murs des maisons, sur les trottoirs, sur la route, ils font les mêmes gestes. Cinq coups de pinceaux, trois jets de lumière, en silence. [1]

 Affrontement

Début janvier 1944, le groupe franc de Mens est constitué au café de Paris à l’instigation de Jacques (propriétaire de la scierie Gros) et sous la responsabilité d’Emmanuel (Jacques Molé). Des séances d’instruction sont prévues… sans armes !

Le 1er mai, Emmanuel est arrêté à Monestier-de-Clermont, puis le chef de gendarmerie Bourchanin, à Mens. Après avoir été sévèrement torturés, ils sont transportés en train à Lyon. Lors de ce transport, Emmanuel saute du train et est abattu.

Début juin, le groupe fait sauter un aiguillage à Clelles.
Avec le débarquement du 6 juin, les événements se précipitent. Le 25 juin, le groupe bénéficie d’une importante livraison d’armes sur le Vercors. Après en avoir pris livraison, ils montent se constituer en maquis au Châtel. L’arrestation le 3 juillet d’Édouard Arnaud à Mens (dont les deux fils sont au maquis), les incite à s’installer sur les flancs de l’Obiou.
L’offensive générale allemande sur le Vercors commence le 21 juillet. Le groupe monte tenir le Pas-de-l’Aiguille. Ils sont assaillis lors de combats violents les 22, 23 et 24 juillet. Sur les vingt-cinq engagés, huit trouvent la mort.

Les combattants du maquis, ainsi que le chef Bourchanin libéré de prison, continuent dans les rangs de l’armée de libération. Plusieurs trouvent la mort ou sont blessés lors de ces combats.

  [1]     D’après Albert Darier, Tu prendras les armes, Imprimerie nouvelle, Valence, 1983. Pp. 63-64.

  [1]     Source Mémorial de la Déportation des Juifs de France, notice des convois, p.200, Serge Klarsfeld, éd. 1978 Mises à jour par Jean-Pierre Stroweis. https://stevemorse.org/france/cv/Notices.pdf#page=191

[2]     Tal Bruttman, L’ « Action Brunner » à Grenoble (février-mars 1944) Dans Revue d’Histoire de la Shoah 2002/1 N°174, pp. 18 à 43. Editions Centre de documentation juive contemporaine. Disponible  en ligne https://shs.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-2002-1-page-18?lang=fr